Le projet incroyable et téméraire de l'Aéropostale est né il y a un peu plus de 100 ans. La Première Guerre mondiale n'était même pas encore terminée.
Pierre-Georges Latécoère est un industriel du monde émergent de l'aviation. Dès mai 1918, il conçoit le projet d'une ligne postale aérienne entre la France et l'Argentine, au-dessus des Pyrénées, de l'Espagne, du Sahara, de l'océan Atlantique et de la forêt vierge du Brésil. Sans compter l'extension finale au-dessus de la cordillère des Andes pour relier Buenos-Aires à Santiago du Chili qui sera organisée plus tard par Marcel Bouilloux-Lafont...
Le but : acheminer le courrier toujours plus vite entre la France et l'Amérique du Sud. Il veut aller plus vite que les bateaux et plus vite que les concurrents comme l'Allemagne, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne !
L'idée folle de Latécoère, quand on sait ce qu'était le matériel volant à cette époque, a été mise en oeuvre par d'anciens aviateurs militaires intrépides. Leurs noms ont marqué l'histoire de l'aviation et font toujours rêver les pilotes d'aujourd'hui : Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry, Henri Guillaumet, Emile Lécrivain et tant d'autres, sans oublier le grand organisateur de la ligne Didier Daurat. Bravant les cyclones, le brouillard, la nuit, les vents de sable, les tribus maures hostiles, le pot-au-noir au milieu de l'Atlantique, tous ces aviateurs français ont ouvert la voie à l'aviation commerciale sécurisée du XXème et du XXIème siècle.
Nombre de ces pionniers de l'aviation ont sacrifié leur vie au service de « la Ligne ». C'est ainsi qu'ils sont entrés dans la légende de cette aventure presque mystique.
SOMMAIRE de cette brève histoire de l'Aéropostale
Le projet de Pierre-Georges Latécoère
J’ai refait tous les calculs, ils confirment l’opinion des spécialistes : le projet est irréalisable. Il ne nous reste qu’une chose à faire : le réaliser !
C’est ainsi que Pierre-Georges Latécoère envisage son projet avec son ami Beppo de Massimi.
Il ne s’agit rien de moins que de décoller de Toulouse et survoler les Pyrénées, l'Espagne, le Sahara habité par des tribus maures très hostiles puis l'océan Atlantique et la forêt vierge du Brésil pour atteindre Buenos-Aires.
On a du mal à imaginer le matériel volant de l’époque tant ces premiers avions sont rudimentaires. Souvenons-nous simplement que la première traversée de la Manche par Louis Blériot, pionnier de l'aviation, « père de l’aéronautique », est réalisée après 32 échecs en 1909 soit moins de 10 ans avant le projet Aéropostale ! Blériot a volé durant 37 minutes et c’est un exploit.
Latécoère, qui est lui-même fabricant d’avions, ne dispose même pas d’aéronefs adaptés à son grand dessein. Il fait donc fabriquer chez Louis Breguet ses avions, les Breguet 14. Ces appareils sont des biplans à structure aluminium, au fuselage entoilé, à l’hélice bois. Ils ont un unique moteur, n'ont pas de TSF et pas de cabine.
Pierre Georges Latécoère nomme donc Beppo de Massimi Directeur Général de sa nouvelle société.
De Massimi engage d'anciens pilotes militaires. Il engage aussi le pilote Didier Daurat dont il a été observateur durant la guerre. Ce dernier sera nommé Directeur d’Exploitation de la Ligne. L’aventure est lancée.
Le pilote, pour se protéger contre les intempéries, n'avait qu'un mince pare-brise. (Joseph Kessel - Mermoz)
Les grandes dates de l'aventure de l'Aéropostale
Il faut avoir en tête quelques dates avant de parler des exploits des hommes.
25 décembre 1918 : Premier vol de reconnaissance depuis l'aérodrome de Toulouse Montaudran jusqu'à Barcelone (Espagne). Pierre Latécoère est passager, il ne peut piloter à cause de sérieux problèmes de vue, le pilote est René Cornemont. Création des Lignes Aériennes Latécoère.
Mars 1919 : Vol de reconnaissance Barcelone-Alicante puis Barcelone-Malaga (Espagne).
1er septembre 1919 : Premier voyage Toulouse-Rabat (Maroc). La liaison devient régulière entre Toulouse et le Maroc. Création de la Compagnie Générale d'Entreprise Aéronautique (CGEA).
3 mai 1923 : Ouverture officielle de la ligne Casablanca-Dakar (Sénégal).
14 janvier 1925 : Première liaison aérienne postale entre Rio de Janeiro (Brésil) et Buenos Aires (Argentine).
Avril 1927 : cession de la CGEA à Marcel Bouilloux-Lafont par Pierre Georges Latécoère. Ce dernier n'a plus les moyens financiers de développer son entreprise en Amérique du Sud. La société prend le nom de Compagnie Générale Aéropostale.
1928 : des navires «avisos » rapides traversent désormais l’Atlantique entre Dakar et Natal pour acheminer le courrier. L'Etat français refuse que des avions prennent le risque de traverser l'Océan.
11 et 12 mai 1930 : première traversée de l’Atlantique Sud par Jean Mermoz entre Saint-Louis du Sénégal et Natal au Brésil avec un hydravion Laté 285 (qui coule d’ailleurs lors du voyage retour).
1931-1933 : la crise financière mondiale de 1929 ébranle la structure de l’Aéropostale. Elle est finalement intégrée dans la nouvelle compagnie Air France créée par une décision du gouvernement français.
Aligner des dates est utile pour situer l'histoire mais ne rend absolument pas compte des difficultés rencontrées par les organisateurs de la ligne et par les pilotes pour pouvoir ouvrir toutes les étapes. Essayons de retracer maintenant quelques-unes des aventures qui ont transformé en héros ces hommes intrépides.
Les hommes et leurs exploits
Les pilotes les plus connus sont certainement Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry, Henri Guillaumet mais il y en a tant d'autres ... Il y a aussi les mécaniciens expérimentés et inventifs ou les radios téméraires grâce à qui les pilotes arrivaient chaque jour à faire décoller et orienter leurs machines ! Sans parler de l'homme qui les poussait à donner le meilleur d'eux-mêmes, Didier Daurat.
Nous ne parlerons ici que des 3 premiers, les pilotes les plus renommés.
Jean Mermoz
Aviateur français unique parmi ses pairs, appelé par eux "Le Grand" ou "L'archange", Mermoz a tout connu des affres de la ligne.
Alors que son avion tombe en panne en plein Sahara en mai 1926, il est contraint de boire l'eau chargée d'acide du radiateur de son avion pour survivre. Il est capturé par les Maures avec son interprète Ataf. Assommé, ligoté, battu, affamé et assoiffé, transporté à dos de chameau de lieu en lieu, il est relâché au bout de plusieurs jours au prix d'une rançon de 12000 pesetas.
En mars 1929, il tente de traverser la cordillère des Andes accompagné de son mécanicien Collenot, avec un appareil Laté 25 qui n'est pas construit pour cet usage. Happé par un courant descendant, il se pose en catastrophe sur un plateau en pente douce à 4200 mètres d'altitude. Avec son génie inventif, le mécanicien répare l'avion, aidé par Mermoz, dans le froid glacial de la montagne, mangeant de la neige, saignant du nez, tombant d'étourdissement. Pour repartir il faut sauter avec l'avion sur 3 étroites plateformes rocheuses successives puis se glisser entre les pics de la Cordillère. C'est cet exploit que réussit Mermoz. Il ramène son avion et son mécanicien après 3 jours où tous les avaient cru perdus.
En mai 1930, avec un hydravion Laté 28, il décolle de Saint-Louis du Sénégal à destination de Natal au Brésil. Il traverse le Pot-au-Noir, ce qui n'a jamais été encore été tenté. C'est une immense zone de trombes d'eau furieuses et tourbillonnantes au milieu de l'Atlantique qui effraye tant les navigateurs. Au prix d'un combat terrible contre les éléments, l'aviateur réussit l'exploit de poser son avion à Natal avec 3 autres passagers et 130 kilos de précieux courrier après 21 heures de vol.
Au retour l'hydravion doit se poser en catastrophe sur l'océan pour un problème technique. L'un des flotteurs de l'hydravion a alors une avarie. Il sombre mais Mermoz et ses compagnons sont sauvés à temps par un aviso de la Marine nationale qui croise dans l’Atlantique pour assurer les vols.
Commandeur de la Légion d'honneur le 31 mai 1934.
Jean Mermoz disparaît finalement dans l'Atlantique le 7 décembre 1936 à bord de l'hydravion "La Croix du Sud".
Saint-Exupéry
Après des débuts militaires, Antoine de Saint-Exupéry démarre chez Latécoère comme pilote sur la ligne Toulouse-Alicante. Il transporte ensuite le courrier entre Toulouse et Casablanca puis jusqu'à Dakar. Il passera d'ailleurs plusieurs mois à l'hôpital dans cette ville, atteint de la dengue.
Il est nommé chef d'aéroplace de la minuscule escale de Cap Juby au Sahara espagnol durant 18 mois à partir de 1926. Là, Saint-Exupéry se charge de libérer les aviateurs de la Ligne capturés par les tribus hostiles. Il doit aussi dépanner les aéroplanes tombés dans les sables au risque de sa vie et de celles de son équipe.
Les pilotes de la ligne n'ont jamais oublié son sauvetage épique d'un avion en plein Sahara à 35 kilomètres de Cap Juby, au milieu du territoire ennemi. Avec toute une caravane d'hommes, d'ânes et de chameaux, il traverse le désert brûlant, atteint l'appareil, commence les réparations. Arrivent les Maures dans le dessein de les tuer ou de les capturer mais Saint-Exupéry s'obstine et arrive à les faire fuir. Le gouverneur de Cap Juby lui donne l'ordre de rentrer, il ne le suit pas. Finalement le moteur de l'avion est réparé, Saint-Exupéry décolle et ramène l'avion à la base.
C'est à Cap Juby qu'il écrit son premier ouvrage "Courrier Sud".
Courrier précieux (...), courrier plus précieux que la vie. Et si fragile. Et qu'une faute disperse en flammes, et mêle au vent.
Entre 1929 et 1931, Saint-Exupéry est en Amérique du Sud afin d'ouvrir les lignes vers la Patagonie. Il est nommé chef d'exploitation de l'Aeroposta Argentina. C'est là que son livre "Vol de nuit" prend forme.
Il reprend ensuite les lignes africaines puis quitte l'Aéropostale. Il effectue ensuite des raids aériens en Afrique et finalement rejoint l'Armée de l'Air en 1939.
Officier de la Légion d'honneur le 29 janvier 1939.
Il disparaît à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lors d'une mission de reconnaissance en avion en 1944. Son avion a probablement été abattu par l'armée allemande.
Antoine de Saint-Exupéry a écrit Le Petit Prince, un livre inspiré de toutes les aventures qu'il a vécues dans le désert, succès mondial.
Traduit en six cents langues et dialectes différents, Le Petit Prince est l'ouvrage le plus traduit au monde après la Bible.
Henri Guillaumet
Henri Guillaumet est un pilote militaire expérimenté et c'est aussi un ami de Mermoz. Il se sont rencontrés au 38e régiment de chasse de Thionville vers 1924. Deux ans plus tard, Mermoz lui propose de rejoindre les entreprises Latécoère et Guillaumet le suit.
Lui aussi débute en 1926 sur la ligne Toulouse-Alicante puis il continue avec les liaisons entre Casablanca et Dakar.
En 1927 il participe, au risque de sa vie, avec Marcel Reine, René Riguelle et Léon Antoine au sauvetage d'aviateurs uruguayens tombés en mer puis capturés par les tribus maures du Sahara.
En 1929 il ouvre officiellement la ligne entre l'Argentine et le Chili au-dessus de la redoutable Cordillère des Andes (altitude moyenne 4 000 mètres / Aconcagua 6 962 mètres).
En juin 1930, lors de sa 92ème traversée des Andes, il doit atterrir en urgence en pleine Cordillère. Son avion se retourne et il ne peut repartir. Il est seul sans aucune notion de la direction dans laquelle trouver de l'aide. Il marche durant 5 jours et 4 nuits sans s'arrêter et sans dormir. Il est finalement sauvé par des habitants et rapatrié par les bons soins de son excellent ami Antoine de Saint-Exupéry.
2 ans plus tard, alors chef d'hydrobase à Dakar, il voit s'envoler Jean Mermoz pour son ultime vol au-dessus de l'Atlantique. Après la disparition de son ami en mer, il le cherche sans discontinuer durant 2 jours...
En 1939, il réalise un record de vol sans escale entre New York et Biscarosse en 28 heures ce qui lui vaut les honneurs en France.
Henri Guillaumet disparaît le 27 novembre 1940 mitraillé au-dessus de la mer Méditerranée avec Marcel Reine et plusieurs autres passagers.
C'est un peu injuste de ne citer que ceux-ci tant ils sont nombreux à avoir bravé les dangers et même sacrifié leur vie pour la Compagnie. Nous reviendrons plus tard sur d'autres héros de la ligne comme Edouard Serre et Marcel Reine, Emile Lécrivain, Léopold Gourp et Henri Erable, Henri Rozès, Elisée Philippe Négrin, Maurice Dumesnil, Léon Antoine et tant d'autres...
Conclusion de cette brève histoire de l'Aéropostale
Des pilotes courageux, tels que Jean Mermoz ou Antoine de Saint-Exupéry et bien d'autres moins mémorables mais tout aussi braves, ont écrit cette épopée de l'Aéropostale, lancée par Pierre-Georges Latécoère en 1918. Ce projet a ouvert la voie à l'aviation commerciale moderne, au prix de dizaines de vies humaines.
Qu'ils aient risqué leurs vies pour la gloire de la France ou de leur compagnie, par goût pour l'exploration, par désir de se surpasser, par volonté de servir un but plus grand qu'eux ou simplement pour la satisfaction du travail bien fait, ces hommes hors du commun nous ont légué un monde plus ouvert et une planète plus familière.
Souvenons-nous d'eux un instant lorsque nous montons dans un confortable avion de ligne, alors que le moindre vol Paris-Casablanca nous semble maintenant si banal !
Ressources
Site internet de l'Association Mémoire Aéropostale
Site internet de la Fondation Latécoère
Site web de Succession Antoine de Saint-Exupéry – d’Agay
Wikipédia Le Petit Prince
Un site formidable pour de nombreuses informations détaillées sur l'Aéropostale au Maroc (mission d'exploration Roig, les dangers de la ligne, les Pionniers)
"Vent de sable" de Joseph Kessel
"Mermoz" de Joseph Kessel
"Vol de nuit" d'Antoine de Saint-Exupéry
"Courrier sud" d'Antoine de Saint-Exupéry
"Terre des hommes" d'Antoine de Saint-Exupéry
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